vendredi, août 11, 2006

Mes autres 5000 visages de Montréal

Il y a un endroit dans la ville qui m'inspire le sentiment qu'il m'appartient plus qu'a n'importe qui. Bien sur, il y a l'UQAM, la grande bibliothèque, le cégep du Vieux-Montréal et tous ces petits bars et cafés que je connais par coeur autour de la station de métro Berri-UQAM, mais ce n'est pas ce qui me donne cette impression. La faune colorée qui fréquente le coin et qui a fait de la rue sa maison, ces insaisissables qui flânent ou qui quêtent ou encore ces ombres que personne n'apperçoit et qui tuent le temps en attendant l'ouverture des refuges du coin, je les connais presque toutes par leur nom, par leur histoire.

Elles ont toutes leur manière de saluer dans cette rue si menaçante pour leur dignité. Certaines sourient timidement, d'autre font un petit signe de la tête, il y en a qui viennent me raconter leur dernières péripéties ou me demander de l'aide et d'autres qui me saluent comme une vieille connaissance. Mais dans leur yeux, il y a toujours une parcelle de ce doute que les gens autour, ceux pour qui cette rue n'est qu'un passage, sachent que je travaille dans un refuge. Et pour celles qui ont encore toute leur tête dans leur baluchon, c'est une honte d'y être ou d'y avoir été. Parce que pour la majorité, elles sont anonymes et on ne peut pas les reconnaitre dans la rue; elles ressemblent à tout le monde.

La honte qu'elles ont, elle s'apprend: la façon dont on les traite dans les hopitaux, dans plusieurs services publics et entreprises, ou le regard que les gens posent sur elles laisse croire que ne pas avoir de domicile fixe fait des ces femmes de sous humain.

Et pourtant, elles sont tellement fortes dans leur vulnérabilité. D'être encore là, de continuer à respirer, de se lever chaque matin à 6h30 alors que rien ne les attends dehors, de vivre avec la douleur physique qui accompagne souvent ce mode de vie, avec les maladies mentales qui se développent ou qui ont été la cause de leur itinérance. Ce sont des femmes avant d'être des itinérantes mais plusieurs l'oublient. Et ce mode de vie, elles ne l'ont pas choisi.

Je réalisais hier en feuilletant mes dossiers au travail que c'est plus de 5000 personnes que je reconnais par leur nom, en plus des autres visage que je peux reconnaître. Quel autre travail aurait pu m'offrir un tel bain d'humanité, d'expériences et d'émotions? Et en connaissant mieux les autres, c'est soi qu'on arrive mieux à cerner.

La maladie mentale me fascine tout particulièrement, ce déséquilibre ou une partie de la personnalité ou un sentiment vient prendre une place exagérée ou bloquer le reste. Si on est mal à l'aise davant elles, c'est parce qu'on a peur de s'y reconnaitre, on est tous un peu de tout ça. Et ce monde que parfois elles se créent et dans lequel elles vivent est fascinant.

Je croisais T. hier. Elle, on la reconnait, et n'importe qui peut savoir qu'elle n'est pas bien. Mais moi je dirais qu'elle est heureuse avec ses poupées, bien mieux que d'autre qui n'ont que leur dure réalité pour pain quotidien. Puis F. qui quêtais près de l'escalier mobile de la sortie de métro Ste-Catherine, fidèle à son habitude, le grand sourrire qu'elle m'a fait m'a donné l'impression qu'elle avait assez pour ne pas venir au refuge cette nuit, pour remplir sa seringue. Et j'avais bien deviné.

Je retournerai bientôt à temps partiel. A l'heure des bilans, je me dit que j'ai reçu tellement de ces femmes, bien plus que je ne pourrai jamais redonner. Et je ne peux pas pour l'instant abandonner complètement ce monde, cette sous culture ou j'ai une place. Mais l'envie d'explorer autre chose de moins demandant se dessine, celle de jouer un autre rôle avec d'autre types de gens. Quelque chose de plus futile probablement. Ou encore, simplement avec une autre clientèle. J'aimerais beaucoup retravailler auprès des enfants. Mais avec les études, pas évident de conciler les horraires. On verra. Pour l'instant, j'y retourne, et je suis bien heureuse de le faire, de prendre le temps d'aller marcher dans le coin avant, de flaner un peu moi aussi. De retrouver Begos après toutes ces heures et de le garder avec moi demain matin.

Vivre est un petit truc bien agréable.

1 commentaire:

HOPE a dit...

ce texte là m'interpelle . dans quoi tu vas étudier dits moi??? sans avoir connu les mêmes choses que toi dans le refuge et la rue.....j'ai été coiffeuse pendant 20 ans à écouter, consolé, joué à la psy etc.....pendant la convalescence je réfléchi à tout cela et a envie de passer à autres choses de moins demandant aussi.....c'est différent mais en même on se pose les mêmes questions au même moment ! bonne chance dans tes études :)