vendredi, mai 22, 2020

Tu avais 4 ans, grand maman. C'est en cherchant les bras de ta mère pour te réconforter de cette foule de funérailles que tu as dû comprendre, du fond de ton petit cœur, toute la cruauté de la mort, de l'absence pour toujours. Ta mère était la, mais ne pouvait plus te prendre. Ses bras existaient toujours, vidés de la vie, de la douceur, dans un coffre. Tu étais seule. Et elle ne viendrait pas plus tard.

On t'as dit qu'il ne fallait pas pleurer.

Et ce que tu me racontes encore, c'est ton refus de porter le noir de l'époque, le deuil. Menaces et force; personne n'a pu t'empêcher, ma petite grand mère, de porter ta robe jaune soleil, celle que ta maman avait fait pour toi, pendant 3 mois, et de faire virevolter ses volants dans les rires et la lumière. On ne voulait pas que tu pleures, mais on ne voulait pas que tu ries non plus. Tu as été joie, tu as fait éclater le sinistre. Soixante quatorze ans plus tard, tes jours fatigués ont doublés ceux de ta jeune maman, et tu continues à aimer celle qui t'as manqué tout ce temps, que tu as aimée toute ta vie dans l'absence, celle qui ne t'as pas vu devenir, dans ton t-shirt badass jaune.

Je suis plus grande et j'ai vu d'autres disparitions, grand maman, mais aujourd'hui, après avoir couru jusqu'à la nausée pour oublier une absence,  j'ai pensé a ta robe jaune et j'ai voulu être comme toi, habitée de la force toute frondeuse de l'enfant matriarche, et mettre des rubans et des rires aux habits austères des pertes.

Mais je dois te dire que ma main continue de chercher la sienne chaque fois que j'oublie qu'il n'est plus la pour voir naître l'été avec moi, chaque fois que la vie s'infiltre dans la trace de son âme moulée sur la mienne, juste un instant, avant d'être frappé par le réel.  Mon cœur oublie la mort devant chaque beauté que j'aimerais qu'il goûte, chaque vers que je voudrais qu'il entende, puis je me souviens brutalement que la route est effondrée et que son odeur est effacée. L'absence habite la joie, et j'apprivoise. Juste un garçon. Juste quelques mois. Et pourtant.

Je me rappelle, grand maman, de cette fois où tu as pris mon visage humide de jeune adulte effondrée dans tes mains. Tu m'as dit, les traits fermes et la voix dure, de ne pas pleurer pour de l'amour. C'était un ordre, mais tes yeux brillaient trop. Tu as pleuré l'amour de l'intérieur, je le sais, souvent, même en bâtissant l'avenir. Je sais qu'auprès de ta petite fille, tu te voyais mère que tu n'as pas eu, et mère pour moi, celle que je n'avais pas. Nous avons tout inventés entre un rire et un emporté pièce de pâte sucrée. L'amour ne pleurait pas.

Aujourd'hui, j'ai mis cette mèche qui frise comme la tienne derrière mon oreille, et ma plus belle robe soleil. J'ai noué un ruban de dentelle à mon cou, et je me rappelé la légèreté infinie d'être en terrain connu dans l'âme douce guerrière de quelqu'un d'autre. Des frontières de la solitude effacées. De sa main lorsqu'elle était habitée. Il me manque, grand maman, même après quelques lunes. J'ai mis ma robe soleil et j'ai porté le vent qui jouait avec elle.

J'ai pensé a toi aussi. J'ai pensé a l'amour de tout ceux qui restent. À tout ce qui abonde. J'ai pensé a l'avenir.

J'ai pensé que les rubans près de mon cou seraient toujours un peu pour ce qui reste de lui en moi, comme tes étoffes ocre.

J'ai pensé à toi en moi. À ta mère. À toutes les femmes avant elles, à toutes celles qui ont survécu aux absences, et qui ont aimé et bâti jusqu'à moi. À ce que je porte d'elles et de toi dans mes traits, sans robe ni rubans. À ces absences habités. À la mort. À ce qui continue. À la vie. Surtout, a la vie. Je n'ai pas pleuré, grand maman.

Je n'ai pas pleuré. J'étais portée par la force de toutes celles qui se sont tenue debout, la main de ton arrière petite fille dans la mienne, et un bouquet de pissenlits jaunes dans l'autre.

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