jeudi, février 25, 2010

Grand-papa

On s'accroche à ce que l'on peut puisqu'on a pas pu te retenir, grand-papa, et on se noie un peu dans un silence hurlant pendant que les larmes perdues ne sèchent pas sur nos lèvres déguisées.

J'aurais tout donné pour rester là, ma main dans la tienne, si présente à la musique de ton souffle devenu hésitant, à veiller sur toi dans un silence rempli de je t'aime et de remerciements, me retenant pour ne pas te serrer fort, pour ne pas te fatiguer, pour te laisser partir malgré moi.

Il reste ici tout de toi sauf toi. Le vide s'installe dans toute cette vie que tu as inventée rien que pour nous, ce vide qui devra se transformer en espace pour les souvenirs, en rage de vivre.

Je t'aime grand papa, toute seule.

Parti

Cette nuit-là je ne le vis pas se mettre en route. Il s'était évadé sans bruit. Quand je réussis à le rejoindre il marchait décidé, d'un pas rapide. Il me dit seulement:

- Ah! tu es là...

Et il me prit par la main. Mais il se tourmenta encore:

- Tu as eu tort. Tu auras de la peine. J'aurai l'air d'être mort et ce ne sera pas vrai...

Moi je me taisais.

- Tu comprends. C'est trop loin. Je ne peux pas emporter ce corps-là. C'est trop lourd.

Moi je me taisais.

- Mais ce sera comme une vieille écorce abandonnée. Ce n'est pas triste les vieilles écorces...

Moi je me taisais.

Il se découragea un peu. Mais il fit encore un effort:

- Ce sera gentil, tu sais. Moi aussi je regarderai les étoiles. Toutes les étoiles seront des puits avec une poulie rouillée. Toutes les étoiles me verseront à boire...

Moi je me taisais.

- Ce sera tellement amusant ! Tu auras cinq cents millions de grelots, j'aurai cinq cents millions de fontaines...

Et il se tut aussi, parce qu'il pleurait...

- C'est là. Laisse-moi faire un pas tout seul.

Et il s'assit parce qu'il avait peur.

Il dit encore:

- Tu sais... ma fleur... j'en suis responsable ! Et elle est tellement faible ! Et elle est tellement naïve. Elle a quatre épines de rien du tout pour la protéger contre le monde...

Moi je m'assis parce que je ne pouvais plus me tenir debout. Il dit:

- Voilà... C'est tout...

Il hésita encore un peu, puis il se releva. Il fit un pas. Moi je ne pouvais pas bouger.

Il n'y eut rien qu'un éclair jaune près de sa cheville. Il demeura un instant immobile. Il ne cria pas. Il tomba doucement comme tombe un arbre. Ça ne fit même pas de bruit, à cause du sable.

-A. de St-Exupéry